Actes du colloque - identifier, protéger et prendre en charges les personnes victimes de traite des êtres humains, comment améliorer la coopération entre les acteurs ?
Résumé et actes de la 4ème journée européenne de lutte contre la traite des êtres humains organisé par le collectif "Ensemble contre la traite des êtres humains".
La traite des êtres humains est le fait de recruter, déplacer ou héberger une personne dans le but de l’exploiter, que ce soit dans le même pays ou dans un autre, comme le précise le document pour l’identification des victimes « Êtres humains, victimes de traite » présenté par le Collectif à l’occasion de la Journée européenne d’octobre 2010.
En cette année européenne 2010 de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, on ne peut que faire le lien entre pauvreté et traite des êtres humains : c’est la situation de misère (entendue ici dans ses multiples dimensions : accès à l’éducation et à la culture, intégration socioprofessionnelle, conditions de vie, situation familiale et administrative) qui rend une personne vulnérable aux trafiquants. Il suffit qu’une maladie, un divorce, un licenciement, vienne aggraver la pauvreté pour que la personne soit amenée à prendre de grands risques pour sortir ses proches de cette mauvaise passe.
De nombreuses victimes sont maintenues sous l’emprise de leurs exploiteurs parce que les personnes qui les rencontrent n’ont pas les outils nécessaires à leur identification.
Ainsi, les médecins en zone d’attente voient se présenter des mineurs étrangers non accompagnés, dans des situations d’extrême vulnérabilité, racontant un peu toujours les mêmes histoires (« je viens rejoindre tata », « je viens faire des études », « je viens faire du mannequinat », …) mais certains médecins ne sont pas formés à reconnaître une victime de traite, et en cas de doute, ils ne savent pas trop vers qui se tourner.
La police peine à détecter des situations d’esclavage domestique parce qu’elle se heurte au principe de l’inviolabilité du domicile, un concept extrêmement protégé en droit français.
L’exploitation par le travail est plutôt rendue visible par des conditions de travail et d’hébergement indignes, mais il faudrait définir des standards de conditions de travail et d’hébergement afin de fixer des seuils d’indignité qui soient les mêmes pour tous. Certains phénomènes comme la mendicité forcée ou la prostitution masculine sont très peu connus, et donc les victimes très peu reconnues.
Un problème supplémentaire se pose avec les mineurs qui sont victimes de traite.
Les acteurs ne peuvent pas vraiment jouer le jeu de l’identification parce qu’il n’y a pas de dispositif de protection pour prendre le relai de leur prise en charge une fois le processus enclenché. Malgré une législation très protectrice, si un mineur a besoin d’être éloigné, c’est extrêmement difficile de trouver une famille d’accueil ou un foyer qui aura la formation nécessaire pour le prendre en charge.
Il faudrait une meilleure coordination entre la Protection Judiciaire de la Jeunesse, l’Aide Sociale à l’Enfance, et les associations pour pouvoir sortir les jeunes des situations d’exploitation dans lesquels ils sont embrigadés.
Les victimes de traite ont des droits, mais encore faut-il qu’elles se reconnaissent elles-mêmes comme victimes et qu’on leur reconnaisse ce statut - le temps nécessaire à la reconstruction - pour qu’elles puissent en bénéficier.
Toutes les victimes ont le droit à un accueil, une écoute, une prise en charge psychologique et sociale, une information tout au long de la procédure, l’assistance d’un avocat à titre gratuit selon les ressources, un soutien lors du procès, une indemnisation en fonction d’un jugement juste et effectif.
Ce dispositif général de protection du droit commun peut être très utile aux victimes de la traite, notamment par la possibilité de se domicilier auprès des services de police, de témoigner sous X, l’utilisation d’outils tels que la visioconférence avec l’impossibilité d’identifier la voix, ou encore la protection policière.
Même si la victime est en situation administrative irrégulière sur le territoire français, elle a le droit à un titre de séjour si elle dépose plainte ou témoigne.
Pourtant, ce droit est mal connu des autorités qui focalisent souvent leur attention sur cette situation ou sur un délit (qu’elles ont en fait été contraintes de commettre : racolage, vol) sans s’enquérir du pourquoi ni du comment la personne est arrivée sur le territoire, alors que la traite des êtres humains constitue une des plus graves atteinte à la dignité humaine et à la liberté des êtres humains, et ouvre des droits spécifiques aux victimes.
Malheureusement, les victimes ont rarement accès à ces droits, parce que les juridictions pénales ont tendance à retenir des incriminations plus simples à caractériser que celle de la traite (article 225-4-1 du code pénal). C’est pourquoi certains recommandent d’étendre le dispositif de protection des victimes aux victimes de conditions de travail et ou d’hébergement indignes, qui pour l’instant ne sont pas concernées par cette protection. Il est important de savoir que l’infraction de la traite est déjà constituée quand bien même l’exploitation n’a pas eu lieu, et à partir du moment où une personne a été déplacée à des fins d’exploitation, elle a des droits.
Il existe notamment un dispositif national de protection, coordonné par l’association ALC depuis octobre 2002, soutenu par la Direction Générale de la Cohésion Sociale et la Ville de Paris.
Ce dispositif d’éloignement s’appuie sur la confidentialité du lieu où la personne va être accueillie, l’implication de la victime dans sa propre sécurité, l’accueil des victimes dans des centres d’hébergement ouverts à divers publics où elles sont accompagnées par un référent Ac.Sé.
Le numéro d’accueil national est le 0825 009 907.
Il existe sur cette question de la protection et prise en charge des victimes un comité de pilotage impliquant tous les services de l’État concernés par la problématique de la traite des êtres humains, les ministères, la ville de Paris, la FNARSS, les Directions Départementales de la Cohésion Sociale, la coordination du dispositif Ac.Sé.
Mais suite à la réorganisation de la Direction Générale de la Cohésion Sociale, le comité de pilotage ne s’est plus réuni depuis un an. La lutte contre la traite ne peut se concevoir sans une coopération efficace, qui ne peut se faire que sur la base d’objectifs communs clairement définis, en gardant à l’esprit le sens de cette coopération et au service de qui elle est mise en place.
La coopération est d’autant plus essentielle que les victimes ont fait l’objet d’une atteinte grave à leurs droits élémentaires et qu’elles doivent pouvoir bénéficier d’un soutien inconditionnel pour pouvoir se reconstruire dans leur intégrité.
Ainsi, certaines associations comme ETZ ont mis en place des ateliers de création et de culture générale, qui ont des effets très bénéfiques sur la capacité à construire et à être en relation avec l’autre.
Parce que la traite des êtres humains n’est pas juste un état, mais un processus de déshumanisation, qui tend à exclure la personne de la communauté des humains, avec toute la dimension d’ « a-nomination » à travers la confiscation ou la modification des documents d’identité. C’est pourquoi il faut un engagement très fort de la part de la victime pour œuvrer dans le sens d’une réparation pour soi, déposer plainte parfois contre sa famille, accepter l’isolement.
La réinsertion socioprofessionnelle est une étape particulièrement difficile, que ce soit en France ou en Europe.
Étant donné l’étendue des difficultés - problèmes de langue, non-équivalence des diplômes, courte durée des permis de séjour - il apparaît indispensable de favoriser les projets d’insertion globale qui ont beaucoup plus de sens, parce qu’ils donnent une vision d’ensemble et un suivi de la situation de la personne et permettent vraiment de l’inclure dans les choix qui la concernent, accompagnée par une personne qui doit être disponible, capable d’anticiper et surtout de prendre un engagement sur la durée.
Dans ce domaine comme de manière générale dans les politiques de lutte contre la traite, une coopération entre les acteurs associatifs et institutionnels des différents pays est indispensable.
Chaque pays devrait avoir son centre de contact en cas de trafic international, pour pouvoir mieux coopérer entre pays originaire et destinataire, par des échanges d’informations et d’expérience sur la prévention et la protection des victimes.
Lorsqu’une victime en France souhaite rentrer en Bulgarie ou en Roumanie par exemple, il est important de savoir que lorsque la personne doit rentrer dans un petit village, l’intégration est très difficile, parce qu’il n’y pas d’infrastructures, pas de possibilité de trouver du travail.
Ces pays de destination travaillent notamment sur des politiques de sensibilisation de la société pour qu’elle accepte sans juger, sans stigmatiser, sans créer des souffrances qui risquent de faire retomber la personne dans le trafic, mais en incluant la société dans la lutte afin qu’elle puisse reconnaître une situation de traite et sache à qui s’adresser.
Le trafic étant majoritairement transnational, c’est à l’échelle européenne que la lutte contre la traite des êtres humains doit s’organiser.
Les États Membres ont signé ou ratifié la Convention contre le Crime Organisé et le Protocole contre la traite des êtres humains de Palerme. L’UE a encouragé les États membres à harmoniser leur législation et systèmes d’enquête pour mieux travailler les uns avec les autres, mais il manque des indicateurs universellement acceptables pour identifier les victimes de la traite.
Le groupe d’experts de la Commission Européenne critique la conditionnalité de l’assistance offerte aux victimes en forme d’un permis de séjour à la coopération de la victime avec les autorités juridiques sans prendre en compte les conséquences pour la victime de cette coopération. L’assistance devrait être sans conditions pour être efficace. Enfin, travailler avec les pays d’origine pour identifier un phénomène et faire de la prévention ciblée sur telle population d’une ville ou un village particulièrement touché en proposant des alternatives pour limiter les risques liés à la migration reste la meilleure façon de mettre fin à un trafic.
Une lutte efficace contre la traite nécessite avant tout de changer de regard.
Nos opinions publiques ne veulent pas reconnaître les personnes victimes de traite comme des victimes, car ces victimes auraient des droits, et en particulier celui de séjourner sur le territoire où elles ont été exploitées. *
Il faut faire un véritable travail sur les opinions publiques européennes pour qu’elles comprennent que ces personnes ne sont pas « des coupables venus profiter des allocations » mais des victimes d’un système où l’être humain est traité comme une marchandise.
Puis faire un travail sur les gouvernements pour qu’ils comprennent qu’en fermant leurs frontières à la migration légale des personnes sans qualifications, ils perdent dans le même temps le contrôle sur les conditions de migration et de travail de tous les migrants qui se retrouvent alors en situation irrégulière.
Au-delà de l’avis de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme sur la traite et l’exploitation en France adopté le 18 décembre 2009, les propositions que l’on retiendra de cette journée sur l’amélioration de la coopération entre les différents acteurs en Europe :
- Faire respecter les engagements internationaux que nos pays ont pris : Protocole de Palerme 2000, Convention de Varsovie 2005.
- Créer des structures de coordination nationale dans chaque pays européen, qui soit interministérielles et incluent les associations qui soient chargées de suivre des données et initier des actions concertées et améliorer la communication entre pays européens.
- Renforcer la coopération entre pays d’origine et de destination, faciliter les échanges d’informations et d’expériences pour la prévention et la protection des victimes : que les associations d’un pays de destination puissent prévenir les autorités d’une ville d’origine, faire une analyse approfondie et une action de prévention ciblée, ou une enquête de protection précise en cas de retour d’une victime par exemple.
- Développer à l’échelle européenne des critères communs et des outils d’identification des victimes de traite, à partir desquels former régulièrement les services de police et de justice au phénomène de la traite des êtres humains et aux droits des victimes.
- Sensibiliser l’opinion publique européenne à la problématique de la traite, pour qu’elle facilite la prévention et la réinsertion socioprofessionnelle des victimes.
- Mettre fin à un système où le droit au séjour des victimes est conditionné par une obligation de porter plainte ou de témoigner.