Début juillet a eu lieu le procès d’un réseau de traite Nigériane à Nice. Il faisait suite à différentes plaintes de jeunes femmes mineures pour exploitation sexuelle. 9 prévenus et 2 victimes étaient présentes. L’une d’entre-elles, Joy, a été accompagnée par l’OICEM.
Enfant, Joy vit dans un petit village de l’état d’Edo, où elle travaille aux champs avec ses parents. Elle n’est pas scolarisée. Un jour où elle se rend à Bénin City, elle est abordée par une dame qui lui propose de venir en Europe pour s’occuper de ses enfants et y être scolarisée. Joy y voit un moyen de s’extraire de la précarité et accepte. On lui confie alors un passeport avec une fausse identité et elle est envoyée en Europe par avion. Arrivée à Cannes, elle est accueillie par 3 personnes qui la forcent à se prostituer. Joy refuse dans un premier temps, mais suite aux violences de ses exploiteurs, elle finit par se plier à leurs exigences.
En 2015, Joy va alors être victime d’exploitation sexuelle pendant 1 an, de ses 14 à ses 15 ans. Elle travaille tous les jours sans repos et vit dans un appartement avec d’autres jeunes filles.
Le déclencheur vers la sortie d’exploitation
Un jour, sa madame, mécontente des revenus qu’elle rapporte, la frappe en pleine rue. Des passants alertent la police qui se rend sur place et propose à Joy de déposer plainte. Celle-ci accepte et les officiers lui donnent rendez-vous à la gare. Mais ils ne vont jamais s’y rendre. Joy rencontre alors un ancien policier qui l’oriente vers une association spécialisée avec qui elle portera plainte.
Lors de l’entretien, Joy va donner l’adresse de l’appartement dans lequel elle est hébergée, le nom des Madames qui l’exploitent, qui sont déjà connues des services de police, l’identité d’autres victimes et des photos de ses proxénètes.
Mais malgré la précision de ces informations, la police va mettre plusieurs années avant de faire cesser cette activité. Pendant 5 ans, ce réseau de traite a continué à sévir en toute impunité.
Un enquête difficile à suivre
En 2016, Joy quitte Nice pour un foyer de Marseille qui va l’orienter vers l’OICEM car elle semble souffrir de traumatismes dû à un vécu de violences et d’exploitation. C’est alors que l’association découvre son histoire et contacte la police de Nice et Cannes pour comprendre les faits et connaitre les suites de l’enquête. Seulement, aucune information ne sera divulguée à l’association malgré ses relances.
Ce n’est qu’en septembre 2020 que la juriste informe l’OICEM du démantèlement d’un réseau de traite Nigériane entre Nice et Cannes. Puis en juin 2022, l’association apprend par cette même juriste que le procès aura lieu début juillet. Mais Joy n’a pas reçu de convocation ni d’avis de victime pour se constituer parti civil au tribunal.
Pourtant, tous les éléments de l’affaire correspondent à l’histoire de Joy : les exploiteurs concernés et interpellés, les modes opératoires, les lieux d’hébergement et d’exploitation… Mais la période des faits retenue par les enquêteurs correspond à la sortie de prostitution de Joy.
Deux victimes témoignent au procès
Joy tient tout de même à se rendre au procès pour témoigner. Elle y retrouve une jeune fille avec qui elle a été exploitée. Elles sont toutes deux entendues et donnent les éléments de leur histoire, du recrutement jusqu’à l’exploitation, en passant par les violences subies. Leurs versions concordent parfaitement et décrivent le fonctionnement d’un réseau de traite organisé. Parmi les prévenus, les victimes reconnaissent et désignent deux de leurs anciennes proxénètes.
L’avocat de la défense des victimes insistera pour que la qualification de traite soit retenue, en plus de celle de proxénétisme, compte tenu des éléments de l’affaire : recrutement des victimes, violences des exploiteurs, modes opératoires du système organisé pour tirer profit des jeunes filles, minorité des victimes au moment des faits…
Au final, les 2 principaux prévenus ont été condamnés pour traite et proxénétisme à 6 et 7 ans de prison.
Un avenir prometteur mais encore incertain
Seules 2 victimes étaient présentes lors du procès, alors que l’affaire concernait une trentaine de personnes exploitées. Si les auteurs ne font pas appel, elles recevront une carte de séjour de 10 ans.
Du côté de Joy, la tenue de ce procès fut un soulagement, le dénouement d’une longue période d’attente, et la reconnaissance de ce qu’elle a vécue en tant que victime. Elle reste cependant inquiète du fait que sa madame principale n’ai pas été interpellée. Ce qui pose la question sur la suite des agissements du réseau.
Aujourd’hui, Joy suit un cursus dans un lycée professionnel pour obtenir l’équivalent d’un CAP. Elle est en contrat d’apprentissage dans un restaurant gastronomique à Marseille qui est très content de son travail et qui veut la garder.
Joy a toujours montré de la volonté et du courage pour se sortir de sa situation et reprendre sa vie en main. Elle a eu la chance d’être accompagnée par l’Aide Sociale à l’Enfance puis a bénéficié d’un contrat jeune majeur, ce qui lui a permis de suivre une formation en cuisine en parallèle de cours de français.
Mais au lendemain du procès, Joy allait sur ses 21 ans et sortait du dispositif contrat jeune majeur. Elle s’est donc retrouvée sans solution d’hébergement après des années passées en appartement autonome. Finalement, avec l’aide de l’OICEM, elle rejoindra un foyer adapté à ses horaires de cuisine.
Mais ce fut une période très délicate à gérer pour elle, malgré tous ses efforts pour se réinsérer et son parcours exemplaire pour accéder à une formation professionnelle.
Administrativement, sa situation reste compliquée. Son passeport ne mentionne pas sa véritable identité. En plus de cela, son parcours a fait l’objet de plusieurs demandes d’asile sous des identités différentes. Sa situation administrative n’est donc pas réglée, malgré le fait qu’elle soit reconnue victime de traite par la justice.
L’OICEM Organisation Internationale Contre l’Esclavage Moderne
Outre l’accompagnement de personnes victimes de traite exploitées en France et en Europe, l’OICEM développe depuis plusieurs années une assistance aux personnes mineures et majeures qui ont été victimes de traite, d’esclavage, de travail forcé, durant leur parcours migratoire.
L’OICEM offre notamment un soutien psychologique spécialisé et vient en appui aux équipes professionnelles et bénévoles qui sont de plus en plus confrontées à des récits relatant ces faits de traite et d’esclavage.
Article écrit en collaboration avec Nagham Hriech Wahabi, psychologue clinicienne et directrice de l’OICEM