En ces temps de crise sanitaire et d’incertitude économique, l’exploitation par le travail est en pleine expansion, essentiellement dans les secteurs du bâtiment et de l’agriculture. Les migrants économiques sont vus par certains employeurs comme une main d’œuvre peu couteuse dont on peut facilement se débarrasser en cas de diminution de l’activité. Ce terrain est propice à toute forme d’abus et d’exploitation.
Dans le climat actuel, l’avenir économique est pour beaucoup d’employeurs très incertain. Pour une partie d’entre eux, la tentation d’embaucher du personnel migrant sans le déclarer est de plus en plus forte.
Certains intermédiaires profitent de ce contexte pour en tirer des bénéfices. Ils sont souvent eux-mêmes issus de l’immigration et travaillent en France depuis plusieurs années. Ils font ainsi venir de la main d’œuvre de leur pays d’origine pour la mettre en relation avec des employeurs de leur connaissance en France.
Ces intermédiaires se rémunèrent en vendant aux migrants le trajet pour la France, la production de faux documents afin de pouvoir passer la frontière, et réclament une commission aux employés sur leur salaire.
Une fois sur place, ces employés non déclarés sont particulièrement vulnérables et totalement dépendants de leur employeur. Dans ces conditions, les cas de traite et d’exploitation sont extrêmement fréquents. Beaucoup de travailleurs sont engagés à la journée, sans aucune garantie sur le lendemain, sont corvéables à merci pour une rémunération dérisoire ou inexistante et sont hébergés dans des conditions indignes.
Des victimes particulièrement isolées et dépendantes
Ce type d’exploitation concerne essentiellement des adultes, hommes ou femmes, provenant majoritairement de Roumanie, Moldavie, Ukraine, Bangladesh et Maroc. Ces personnes sont souvent issues de zones rurales et n’ont pas les moyens d’entreprendre une migration. Elles dépendent ainsi des intermédiaires pour se rendre en France, ce qui augmente d’autant plus leur vulnérabilité. Parlant rarement français, elles sont dans une situation d’isolement social.
Enfermées dans un système clos et méconnaissant leurs droits, il leur est difficile d’avoir recours à la justice ou aux services sociaux pour s’extraire de l’exploitation.
Des pouvoirs publics en retrait
Un phénomène peu contrôlé par les autorités
Il est de notoriété publique qu’il existe du travail au noir et de l’exploitation économique dans les secteurs du bâtiment et de l’agriculture. Pourtant, les autorités exercent très peu de contrôles dans ces domaines. Elles semblent fermer les yeux sur ce phénomène.
Or, en l’absence de poursuite judiciaire, les intermédiaires deviennent de plus en plus « gourmands » et les risques de traite par le travail augmentent.
Un type d’exploitation peu connu de la justice française
Par ailleurs, la justice est aujourd’hui peu sensibilisée à la traite à des fins d’exploitation économique. Elle a tendance à privilégier la qualification de « travail dissimulé », même dans des situations où le degré d’exploitation est important. Or la qualification de traite des êtres humains est essentielle pour que les victimes bénéficient de la protection prévue dans la loi (titre de séjour, accompagnement social, ...).
Des leviers simples à actionner pour lutter contre l’exploitation
Favoriser le repérage en sensibilisant les associations
Les associations présentes sur le terrain doivent être sensibilisées à la question de la traite à des fins d’exploitation économique afin de connaitre et comprendre ce phénomène, et de maîtriser les critères de repérage de ces situations d’exploitation : les taux de rémunération, les conditions de logement, la servitude pour dette…
Elles pourraient ainsi directement informer les victimes de leurs droits et des moyens qu’elles ont à leur disposition pour y accéder et sortir de l’exploitation.
Le repérage permet également d’effectuer des signalements aux autorités afin de déclencher des enquêtes et pénaliser les auteurs.
La prévention dans les pays d’origine
Les zones de provenance des victimes étant connues, des actions de médiation portées par les services sociaux ou les associations pourraient être mises en place auprès des candidats à la migration dans leur pays d’origine.
Il s’agirait de les informer de leurs droits dans leur pays de destination et des risques d’exploitation afin d’éviter qu’ils se fassent piéger par des intermédiaires.
Cette forme de prévention doit s’imaginer en collaboration avec les pays d’origine des migrants économiques.
Organiser légalement la migration économique
Face au besoin de main d’œuvre de la France, particulièrement dans les secteurs de l’agriculture et du bâtiment, il serait pertinent d’organiser la migration de travail et de prévoir des solutions pour la faciliter dans un cadre légal : dispositifs d’hébergement pour ces travailleurs temporaires, accompagner les entreprises qui ont besoin de cette main d’œuvre...
En organisant et accompagnant la migration économique, l’Etat français peut protéger les travailleurs étrangers, faire régresser l’exploitation et la traite, et bénéficier de cette économie.
Article écrit en collaboration avec Olivier Peyroux, Sociologue, spécialisé sur les migrations et la traite des êtres humains, Président de l'association Koutcha