La traite des êtres humains est une infraction pénale relativement récente dans le code pénal. De nombreux écueils rendent encore difficile la reconnaissance et la qualification des cas de traite par les tribunaux français.
Quelles sont les difficultés rencontrées par les magistrats pour qualifier les cas de traite ?
Le manque de formation des enquêteurs sur l’infraction de traite des êtres humains
Tout commence lors du dépôt de plainte. Si la police ne décèle pas l’infraction de traite au cours de l’enquête, le Parquet ne retient pas cette qualification ; il y a alors « classement sans suite » en cas d’abandon des poursuites ou « requalification » : une autre infraction est retenue dans le cadre de l’action publique (par exemple, le parquet retient l’infraction de proxénétisme ou de travail dissimulé).
Malheureusement, les fonctionnaires de Police sont très peu sensibilisés à la réalité de la traite des êtres humains et ne sont pas formés pour repérer les victimes lors de leur dépôt de plainte. Dès le départ, la qualification de traite a donc peu de chance d’être retenue.
La surcharge des services d’enquête
De ce fait, le Parquet qui reçoit rarement des enquêtes pour des faits ayant reçu la qualification de traite des êtres humains par les enquêteurs n’a que très peu d’éléments aux fins de qualifier l’infraction. En cas de doute, il pourrait choisir de prolonger les investigations, mais la surcharge des services enquêteurs freine les investigations rapides et effectives sur ce type d’affaires.
La traite, une qualification juridique relativement récente
L’infraction de traite des êtres humains est relativement récente dans le Code pénal (art 225.4.1 de la loi du 18 mars 2003, modifiée par la loi du 5 août 2013). De fait, la jurisprudence est relativement pauvre en ce domaine et le parquet ne retient qu’assez rarement cette qualification encore trop peu ancrée dans l’imaginaire judiciaire.
Des circulaires du Ministère de la justice ont pourtant tenté de préciser les infractions de traite et de mobiliser l’attention des magistrats sur ce sujet. La dernière en date du 22 janvier 2015 est assez précise, mais elle reste encore assez méconnue par l’ensemble des acteurs judiciaires.
Par ailleurs, les magistrats ne sont pas assez sensibilisés, formés, ou bien informés sur la réalité du phénomène.
La difficulté de prouver l’élément intentionnel de l’infraction
Comme pour toute infraction, afin de caractériser l’infraction de traite, il est nécessaire de prouver la volonté de l’auteur d’exploiter ou de faire exploiter la victime : les faits d’exploitation n’emportent pas à eux seuls qualification de l’infraction de traite. La preuve de l’intentionnalité de cette infraction s’en retrouve d’autant plus compliquée par le fait que, très souvent, cette infraction est commise dans l’intimité des habitations ou dans la discrétion des chantiers de travail isolés. Cela rend très difficile la collecte d’éléments de preuve relatifs à la fois à l’exploitation par le travail elle-même et l’intentionnalité des employeurs d’exploiter la vulnérabilité de leurs employés.
Il est plus difficile de prouver une volonté d’exploiter qu’un acte. Le diagnostic de l’infraction de traite par les magistrats est de ce fait plus complexe.
Les difficultés ou l’absence des victimes lors des procès
Les victimes de certaines formes de traite -à des fins d’exploitation sexuelle, par exemple- comparaissent rarement lors des procès. Il est donc difficile pour les magistrats de prendre conscience de la réalité vécue par les victimes sans entendre leur parole. Ils sont alors limités aux éléments constitutifs du dossier pour évaluer l’infraction et les préjudices subis. En revanche, ils ont en face d’eux les prévenus qui se défendent de leur malveillance en tentant de minimiser leurs actes. Concernant l’exploitation par le travail, les victimes comparaissent… D'ailleurs si la victime n’est plus là, la procédure généralement est classée.
Pourquoi les victimes ne se présentent-ils pas au procès ?
- Le délai est très long entre la plainte et le procès ; les victimes n’ont parfois plus envie de remuer le passé
- Ce délai est parfois l’occasion pour l’exploiteur d’exercer à nouveau son emprise sur la victime et ainsi de la dissuader de se présenter au procès
- Les victimes peuvent craindre la confrontation avec l’exploiteur qui a été leur bourreau
- Pour certaines victimes, il est difficile de se considérer comme telle.
Quel est l’intérêt d’utiliser davantage la qualification de traite des êtres humains ?
Un meilleur accompagnement des victimes
Surtout la qualification de traite est bien plus protectrice pour les victimes.
Si la qualification de traite est retenue dès le début, les victimes doivent être immédiatement protégées dès le début de l’enquête judiciaire et jusqu’à la tenue du procès, procès à l’occasion duquel elles peuvent être assistées par des associations de défense des victimes (cf loi du 13 août 2013 qui permet aux associations de se constituer « parties civiles »).
Une protection est plus particulièrement adaptée aux victimes mineures qui sont systématiquement assistées par un tuteur au cours de toute la procédure et doivent bénéficier d’une prise en charge personnelle leur permettant ainsi une meilleure reconstruction ainsi que des mesures d’aides et d’assistance sociales (hébergement, éloignement géographique de l’exploiteur, scolarisation ou formation, suivi psychologique individuel…), et administratives (régularisation de leur situation, octroi de titre de séjour, etc…)
Un développement de l’entraide pénale internationale en cas de faits commis à l’étranger (cf mandats d’arrêts européens)
La « tentative » de commettre un délit de traite est punie des mêmes peines que le délit lui-même
Encourager les victimes à se présenter au procès
Leur protection, leur accompagnement, et la justice sur leur histoire dépend en partie de leur parole. Il est important qu’elles en soient informées afin de les encourager à aller au bout de la procédure judiciaire, à la fois pour elles-mêmes et dans l’intérêt plus général de tous dans la lutte contre la traite.
Ce message est déjà porté par les associations auprès des victimes qu’elles accompagnent mais mériterait aussi d’être relayé par les organismes judiciaires (police, magistrats…).
SOS - Esclaves
L’Association accueille toute victime de Traite des êtres humains, y compris mineure.
Cependant, elle est spécialisée dans le soutien juridique et social des victimes d’exploitation domestique.
« SOS-Esclaves » agit dans différents domaines dont :
Prise en charge pour une protection civile : obtention de papiers, hébergement,
suivi juridique pénal : accompagnement systématique en vue de porter plainte pour « traite des êtres humains », et assurer le suivi de la procédure jusqu’au procès (procédure aussi devant la CIVI afin que les victimes obtiennent effectivement les dédommagements auxquels elles ont droit).
Article écrit en collaboration avec Catherine Le Moël