La crise sanitaire actuelle soumet les professionnels de santé, les travailleurs sociaux et les auxiliaires de justice à rude épreuve. Alors que ces professions devaient déjà faire face à des manques chroniques de budgets et d’effectifs, les mesures de confinement rendent l’accès aux publics vulnérables encore plus difficile, alors même que ces publics vulnérables n’ont jamais autant eu besoin de leurs secours. Parmi les personnes dont le confinement aggrave sensiblement la situation, on peut notamment citer les enfants et les femmes victimes de violences.
Or, le recueil de la parole des victimes est primordial pour pouvoir leur venir en aide efficacement. La façon dont on doit recueillir et traiter les informations apportées par les victimes de violences est importante : comment la loi nous oblige-t-elle à concilier le secret professionnel, gage de la confiance, et le devoir de signalement, dispositif de plus en plus étendu permettant de protéger les victimes ?
Voici quelques éléments de réponse.
Instauré de longue date, le secret professionnel impose au personnel de santé, travailleurs sociaux et avocats de conserver la confidentialité des informations divulguées par leurs patients ou clients sous peine de sanction (jusqu’à 1 an d’emprisonnement et 15 000 Euros d’amende).
Son but est de privilégier la relation de confiance entre les acteurs intervenant auprès des victimes et celles-ci. Il garantit la confidentialité des informations sensibles transmises par la personne aux professionnels.
Cependant, le secret professionnel se heurte au principe de non-assistance à personne en danger et ne favorise pas la protection des victimes. C’est pourquoi la législation s’attaque à cette obligation afin de privilégier les signalements en cas de maltraitance constatée et le partage d’informations entre professionnels.
L’objectif poursuivi par les évolutions récentes de la loi est d’intervenir plus rapidement auprès de toute victime de violences, d’exploitation ou de traite, et de lui assurer une protection efficace.
Un conflit qui a toujours existé
Les tensions entre le devoir de protéger une personne en danger et le secret professionnel ne date pas d’hier. En effet dans le cas de maltraitance des mineurs de moins de 15 ans, la loi du 15 juin 1971 prévoyait déjà que les personnes soumises au secret professionnel « sont libres de fournir leur témoignage sans s’exposer à aucune peine ». Ceci étant, cette loi n’impliquait aucune obligation de signalement.
En 1997, une dérogation à la loi de 1971 impose aux éducateurs et assistantes sociales de signaler les mauvais traitements sur les mineurs confiés par le juge pour enfants.
Par la suite, la loi du 2 janvier 2004 instaure :
- L’obligation de signalement de toute forme de maltraitance constatée sur un mineur ou une personne dans l’incapacité de se défendre.
- L’obligation de signaler les personnes potentiellement dangereuses rencontrées dans l’exercice de ses fonctions
Le code pénal prévoit également des sanctions en cas de non-dénonciation d’un crime commis sur un mineur.
Le délit de « non-assistance à personne en danger » du Code pénal, s’applique aussi à toute personne astreinte au secret professionnel. Devant le besoin de protection d’une personne en péril, cette contrainte ne doit pas parasiter le déclenchement d’actions de secours.
Enfin, les lois du 14 mars 2016 et du 3 août 2018 étendent le devoir de signalement à l’ensemble des victimes mineures et alourdit les peines si celles-ci ont moins de 15 ans.
L’évolution de la législation va donc dans le sens du devoir de signalement même pour les personnes astreintes au secret professionnel afin d’assurer une meilleure protection des victimes.
Les réticences face au devoir de signalement
Les victimes favorables au secret professionnel
Par peur des représailles de leur exploiteurs, par crainte de perdre leur emploi en cas de divulgation d’informations mettant en cause leur employeur, ou parce qu’elles sont en situation irrégulière, les victimes tiennent souvent à ce que les informations confiées au personnel de santé, aux avocats ou aux travailleurs sociaux restent confidentielles.
Pour rester maître de leur situation, les victimes souhaitent continuer à choisir elles-mêmes les personnes à qui elles veulent se confier.
La crainte de perdre la relation de confiance
Pour exercer correctement leur métier, les professionnels ont besoin d’un maximum d’éléments concernant leur patient ou client, y compris les données les plus sensibles. Le secret professionnel offre à la victime la garantie de la confidentialité des échanges. Ce cadre rassurant pour la personne instaure une relation privilégiée avec le professionnel favorisant la révélation des informations sensibles.
C’est pourquoi les professionnels sont réticents au devoir de signalement. Ils craignent de perdre la relation de confiance instaurée avec leurs patients ou clients et in fine de ne plus avoir accès aux informations sensibles utiles à l’accomplissement de leur mission.
Faciliter les signalements et le partage d’informations
Face au conflit entre secret professionnel et protection des personnes en danger, un ensemble de dispositions a été pris pour faciliter les signalements et le partage d’informations entre professionnels intervenant auprès des victimes :
- La loi du 5 mars 2007 a confié au Président du Conseil départemental la charge du recueil et du traitement de l’ensemble des informations préoccupantes quelle qu’en soit l’origine.
- Le Code de l’action sociale et des familles prévoit la création de la cellule de recueil d’informations « préoccupantes » (CRIP).
- La plateforme PHAROS (Plateforme d’harmonisation, d‘analyse, de recoupement et d’orientation des signalements) fait son apparition en 2013. Elle permet d’effectuer directement son signalement au parquet.
- La loi du 5 novembre 2015 tend à clarifier la procédure de signalement dans les situations de maltraitance par les professionnels de santé. Le texte pose un principe d’irresponsabilité pénale, civile et disciplinaire du médecin qui effectue un signalement de maltraitance à enfant.
L’émergence du secret partagé
Afin de concilier le caractère secret des informations sensibles avec le devoir de signalement, la solution du « secret partagé » a vu le jour. Il s’agit de diffuser l’ensemble des informations détenues par les professionnels à tous les acteurs de santé, sociaux ou judiciaires intervenant auprès de la victime.
Le secret partagé permet d’améliorer de façon significative les soins apportés à la victime, son accompagnement social, sa protection et le déroulement de la procédure judiciaire.
La loi continue d’évoluer en donnant la priorité à la protection des victimes et en exonérant les professionnels des sanctions qu’ils encourraient en cas d’infraction au secret.
Désormais, pour préserver la relation de confiance avec les victimes, il est nécessaire de faire preuve de pédagogie en leur faisant comprendre que le partage des informations transmises ne les met pas en danger mais permet au contraire d’assurer leur protection.
Agir contre la Prostitution des Enfants (ACPE)
L’Association a été créée en 1986 pour sensibiliser, en France sur l’exploitation sexuelle des mineurs d’abord à l’étranger et aujourd’hui en France.
Ses missions sont essentiellement :
Des campagnes de communication
Des actions en justice
De l’aide aux victimes
Du lobbying
Des actions de formation
L'ACPE s'intéresse aujourd'hui, en particulier, aux adolescents français - particulièrement invisibles - qui adoptent des conduites prostitutionnelles et qui sont sous l’emprise de réseaux.
Article écrit en collaboration avec Catherine Le Moël, bénévole à l’ACPE