Qui sont les enfants victimes de traite contraints à commettre des délits ?
En France, la présence des mineurs originaires d’ex-Yougoslavie contraints à commettre des délits (vols à la tire, pickpocket...) a été observée dès les années 80-90. Ce phénomène a évolué dans les années 2000 avec l’apparition d’autres groupes, pour beaucoup en provenance de Roumanie mais aussi de Bulgarie, de Serbie, de Bosnie et dont les mineurs étaient contraints à commettre d’autres formes de délits (vol de téléphones portables en terrasse, cambriolages, vol au distributeur automatique de billets).
Plus récemment, on a assisté à l’arrivée de mineurs non accompagné en provenance de pays d’Afrique, notamment l’Algérie et le Maroc, touchés par les mêmes phénomènes (vol à l’arrachée, vente de cigarettes ou de stupéfiants).
La présence de mineurs albanais ou vietnamiens contraints à commettre des délits a également été remarquée dans plusieurs villes de France.
La nature des activités délinquantes semble souvent être fonction des régions d’origine ou des groupes familiaux ou communautaires.
Si les victimes ne répondent pas toutes à un même profil, elles peuvent présenter des caractéristiques communes :
- conditions de vie précaires (dans leur pays de départ ou en France),
- une certaine absence de repères induisant la perte du lien de confiance avec les adultes ou la société,
- des conduites à risques (consommations de stupéfiants, de médicaments…).
L’utilisation de mineurs contraints à commettre des délits s’explique principalement par la volonté des exploiteurs de faire peser le risque pénal uniquement sur ces derniers.
Si la présence de ces mineurs victimes est observée en France elle se retrouve dans plusieurs pays européens (Allemagne, Suède, Belgique…) avec des déplacements fréquents entre ces derniers.
Selon la Convention du Conseil de l'Europe contre la traite des êtres humains, toute enfant contraint à commettre des délits dans le cadre de la traite doit être considéré comme victime.
Quels sont les types de délits ?
Pickpocket, cambriolage, vol de téléphone, vol de distributeur automatique de billets, trafic de drogue, vente de cigarettes, vente de stupéfiants...
Quels sont les modes de recrutement et qui sont les exploiteurs ?
Le type de recrutement et le profil des exploiteurs va évoluer en fonction des groupes identifiés. Voici ce que les associations constatent sur le terrain aujourd'hui.
Concernant les mineurs non accompagnés originaires d’Algérie ou du Maroc,
le recrutement peut s’opérer dès le pays d'origine mais aussi à l’arrivée en France, où certaines organisations criminelles vont profiter du contexte d’errance de ces mineurs pour les contraindre à travailler pour leur compte.
Les mineurs originaires d'Afrique de l'Ouest sont plus généralement recrutés dans leurs pays d'origine et ,souvent, pensent migrer pour trouver un travail ou intégrer des clubs de football.
Dans les groupes originaires d'Europe de l'Est, l'exploitation est souvent basée sur les liens familiaux. Certains mineurs sont recrutés directement au sein de leurs familles pour ramener un revenu ou rembourser une dette contractée par leurs parents. Il existe aussi des cas de recrutement par le mariage avec l'existence d'une dot que la jeune fille devra rembourser, notamment par la commission de délits. Pour certains de ces groupes, les exploiteurs peuvent également relever de réseaux criminels organisés, structurés et très mobiles sans que les liens familiaux soit évidents.
Quelle est l'emprise sur les enfants ?
L’emprise chez ces mineurs va également être fonction des conditions de recrutement et des exploiteurs.
Pour les groupes où l’emprise est plutôt d’ordre familiale et communautaire, l’exploitation peut ne pas être ressentie comme telle et les mineurs peuvent ne pas se dire spontanément victimes, voire revendiquer leurs activités délinquantes.
Dans certains groupes, l’emprise sur les jeunes filles peut exister par la contrainte qui leur est faite d’avoir des enfants, qui seront parfois renvoyés au pays. Il peut exister une forme de chantage affectif par rapport à cet enfant.
Pour les garçons, l’emprise peut aussi se faire au travers de promotions, avec la possibilité d’évoluer dans le réseau. Le levier est lié aux possibilités d’ascension sociale et l’idée de contribuer au prestige de la famille.
Cette emprise induit un sentiment de redevabilité et loyauté important, rendant particulièrement difficile la dénonciation des faits d’exploitation car elle viendrait ternir ces liens familiaux.
Dans les groupes où le recrutement s’opère directement dans les pays de destination par des personnes extérieures à la famille, l’emprise psychologique semble moins forte, mais elle s’appuie en revanche sur d’autres moyens tels que la dépendance de ces mineurs à des produits stupéfiants ou l’existence d’une dette à l’égard de leurs exploiteurs.
A-t-on repéré des indicateurs d’exploitation ?
Eu égard à l’hétérogénéité des profils, c’est plutôt une conjonction d’indices qui peut alerter les personnes en contact avec ces victimes. En voici quelques exemples :
- Indices physiques : traces de carences (vêture, hygiène, problèmes de santé), trace de violences
- Indices liés au comportement, au discours du mineur : discours fuyant et/ou stéréotypé sur sa famille, son lieu de vie, son âge, ses activités, peu de disponibilité à accorder aux adultes, semble sous surveillance, l’existence d’une dette
- Indices liés aux activités elles-mêmes : activités délictuelles qui s’étendent sur des horaires très étendus, réitération des activités délinquantes, le fait que le mineur ne profite visiblement pas de ses délits (tenue vestimentaire précaire par exemple)
- Indices relevés dans le parcours pénal : déferrements multiples au parquet en un intervalle très court, sous différents alias, fugues répétées des lieux de placement
Comment accompagner les enfants victimes de traite qui ont été ou/et sont contraints à commettre des délits?
Une réponse dans le temps, individualisée et pluridisciplinaire
Le phénomène d’emprise peut rendre difficile l’accompagnement de ces mineurs, qui ne se reconnaissent pas de prime abord comme victimes, voire revendiquent ce statut de délinquant leur permettant de maintenir une image positive d’eux-mêmes.
Il semble dès lors primordial de créer avec ces derniers une « accroche », en allant vers eux, tisser du lien et gagner peu à peu leur confiance et leur adhésion.
Au regard de l’hétérogénéité des profils, la réponse se doit d’être la plus individualisée possible, l’idéal étant de de travailler dans un premier temps avec des intervenants et travailleurs sociaux parlant la même langue ou partageant la même nationalité.
La temporalité apparaît dès lors essentielle car le travail de mise en confiance s’effectue sur le long terme et implique des rencontres fréquentes avec ces jeunes, sans aborder immédiatement les questions d’exploitation.
La nécessité d’un cadre sécurisant
Une fois mis à l’abri, il est plus facile pour les personnels accompagnant un mineur victime d’entreprendre un travail de déconstruction. Dans certains cas, l’éloignement géographique peut permettre d’extraire le mineur de l’environnement dans lequel il est exploité et le mettre en sécurité. Il faut souvent agir très rapidement pour que les exploiteurs ne puissent plus être en contact avec ces derniers ni exercer de pressions à leurs égards.
Comment lutter contre le phénomène ?
La protection plutôt que la répression
La nature des délits commis sous la contrainte par ces jeunes et la réitération de ces actes, qu’ils commettent parfois avec violence les rend particulièrement visibles dans l’espace public et les fait apparaître comme des délinquants.
La répétition des interpellations, la revendication de tels actes, peut également créer un sentiment d’incompréhension chez les juges ou les policiers qui ne voient pas en eux la figure « attendue » de la victime.
En conséquence, un certain nombre de mineurs contraints à commettre des délits sont régulièrement condamnés à des peines de prison pour des délits commis dans le cadre de leur exploitation, en contradiction avec le principe de non sanction posé par la Convention du Conseil de l’Europe.
Si une réponse à des tels actes se doit d’être apportée, elle doit être être exercée sous l’angle la protection et non relever d’une réponse carcérale systématique.
Les actions de formation et sensibilisation
Pour repérer et accompagner ces victimes, il semble primordial de connaitre les spécificités de chaque groupe auxquels sont rattachés les mineurs, ainsi que le fonctionnement de ces groupes et les mécanismes d’emprise qui pèsent sur eux. Des actions de formation et sensibilisation doivent continuer à être menées en ce sens, en direction des acteurs en lien avec les victimes (services de police, justice, éducateurs…) afin d’être en capacité de mieux les identifier et apporter une réponse plus adaptée.
Les actions auprès des vrais responsables, ceux qui exploitent les enfants ; et la lutte contre les réseaux criminels
Un juste positionnement des associations est à cultiver dans ce domaine.
Hors la rue
Association basée à Montreuil qui intervient en ile de France auprès des mineurs étranger en danger afin de les ramener vers le droit commun.
L’association Hors la Rue mobilise dans ses interventions une équipe pluridisciplinaire qui dispose d’une palette d’outils variés (travail psychologique, interventions régulières d’un médecin en rue, séances d’art-thérapie, médiation artistique, sport) pour créer un lien de confiance au travers de ces activités et proposer un projet individuel adapté.
Ces activités sont des outils clés qui offrent aux mineurs des moments de respiration et de détente et leur redonnent une place d’enfant. Elles permettent enfin de retravailler le lien de confiance avec l’adulte pour que les mineurs puissent croire en l’existence d’autres modes de vie et susciter leur adhésion et leur envie de se projeter dans ces derniers.
Article rédigé en collaboration avec Julie Jardin, chargée de mission de lutte contre la traite à Hors la rue