Les différents types de mariage en lien avec la traite des êtres humains
Le mariage forcé
C’est la forme la plus connue. Il s’agit de contraindre une personne à en épouser une autre. Dans ce cas-là, le consentement de la jeune femme est acquis par la menace et la violence. Ce phénomène concerne des communautés spécifiques.
Les mariages forcés sont motivés par la volonté de préserver la communauté et de perpétrer la culture traditionnelle de cette dernière. Ils reposent sur une vision de la place de la femme marquée par la soumission et l’enfantement.
La jeune femme porte alors le poids de ce désir de continuité de pureté presque originelle. Il ne faut surtout pas qu’elle soit souillée par quelqu’un d’une autre communauté. C’est ce qui explique que ces mariages se font souvent avec des cousins ou des membres proches de la famille.
Ce qui est troublant dans ces situations, c’est qu’elles concernent des jeunes filles françaises, tout à fait intégrées. Quand celles-ci commencent à s’émanciper, cela peut devenir un problème dans le regard de la communauté.
La famille peut soudainement vouloir se conformer à la vision du groupe pour éviter la honte et le rejet.
Pour les jeunes femmes, elles sont face à un conflit de loyauté. Il leur faut choisir entre leur propre liberté ou répondre aux attentes de leur famille.
C’est pourquoi un grand nombre d’entre-elles se soumettent à la volonté de la communauté afin de ne pas être rejetée.
Souvent, ce sont les parents qui mettent en place le voyage de leur fille dans leur pays d’origine, avec pour finalité de la marier à une connaissance. Sur place, son passeport sera confisqué, et elle sera séquestrée et violentée jusqu’à ce qu’elle accepte de se marier.
Il n’y a pas forcément d’exploitation derrière un mariage forcé, mais une privation de liberté de la jeune femme qui doit devenir ce que souhaite la communauté.
Par ailleurs, il arrive que la famille du mari rémunère celle de la jeune femme pour cette transaction. Le mariage forcé peut être assimilé à la vente d’une personne humaine.
Le mariage à des fins d’exploitation
Ce sont souvent des mariages transnationaux, liant un Européen à une jeune femme étrangère, mais pas seulement. Ce phénomène touche aussi des couples français.
Ces mariages sont le fruit de la séduction et de l’installation d’une relation de confiance avec la jeune femme. L’exploitation quant à elle, s’installe petit à petit, insidieusement, après le mariage.
Elle peut prendre plusieurs formes : exploitation sexuelle, servitude domestique, ou exploitation économique (les jeunes femmes étant forcées à travailler sans contrat et sans rémunération, à la place d’autres salariés. Cela s’observe dans les secteurs du ménage, de la distribution de journaux, des marchés, de l’hôtellerie…)
L’emprise exercé par le mari sur la jeune femme passe par plusieurs étapes. Tout d’abord, dans la majorité des cas, il n’effectue pas les démarches pour régulariser le séjour de sa femme. Celle-ci se retrouve alors en situation irrégulière et n’a pas accès à ses droits, en particulier au niveau de la couverture santé.
Le mari, avec parfois la complicité de sa famille, va ensuite confisquer les papiers de sa femme et exercer une pression permanente sur la jeune femme : isolement, précarité, pressions psychologiques, dénigrement de la personne….
Les femmes sont alors dans une relation d’emprise et de dépendance administrative, économique et au niveau du logement. Elles sont constamment rabaissées, menacées et fragilisées, ce qui les maintient dans leur situation d’exploitation sans pouvoir s’en extraire. Ce sont les mêmes modes opératoires que les autres formes de traite.
Le rôle des réseaux sociaux
Les réseaux sociaux ou les sites de rencontre jouent aujourd’hui un rôle important dans le recrutement de ces jeunes femmes. Les recruteurs sont de véritables chasseurs de profil.
Ces espaces virtuels leur permettent de bien connaitre les habitudes de la jeune fille et de s’en servir pour la séduire dans un premier temps, puis leur promettre des études, du travail ou le mariage, et enfin avoir de l’emprise sur elle.
Il y a un travail sur le long terme en amont de la part des exploiteurs, avec pour finalité de faire venir la jeune femme dans des conditions de confiance optimales pour pouvoir l’exploiter par la suite.
Une exploitation dont il est difficile de s’extraire
Le poids de la réputation
Le mari appui parfois financièrement la famille de la victime. Il se fait une place au sein de la communauté dans le pays d’origine de sa femme.
Via les réseaux sociaux, les maris se sont fréquemment attelés à faire une mauvaise réputation à leur femme.
Celle-ci est alors dans l’impossibilité de faire reconnaitre la réalité de sa situation au sein de sa famille. Le retour au pays est alors impossible. Il serait vécu comme une honte et une ingratitude.
La crédibilité devant la justice
Pour les victimes, c’est très compliqué de prouver leur situation d’exploitation devant la justice. Celle-ci se déroule dans la sphère privée, l’intimité et c’est souvent la parole de la victime contre celle de son « mari ».
La situation irrégulière des jeunes femmes étrangères les dessert. Devant les tribunaux, l’époux s’en sert régulièrement pour se défendre, prétextant que la jeune femme est venue dans le but d’être régularisée, et qu’elle monte cette histoire pour obtenir des papiers.
L’impossibilité de témoigner contre sa famille
Dans le cadre des mariages forcés, les femmes ne déposent pas plaintes car il s’agit de leur propre famille. Ces affaires passent beaucoup par les associations, car c’est la seule porte d’entrée possible vers la sortie de cette situation.
La reconnaissance de la traite dans ces formes d’exploitation
Il est très délicat de faire émerger une situation de traite au sein d’un mariage. Dans l’absolu, cette union est consentie et souhaitée par les deux époux, qui se doivent respect et considération. La sphère privée du couple est censée être protectrice. Culturellement, il est difficile de faire admettre qu’il puisse y avoir une autre intention que la vie de couple dans cette union.
Les mariages à des fins d’exploitation
Dans ce cadre, l’union s’est faite au départ dans une relation de confiance et de consentement mutuel. Avant le mariage, il n’y a aucun signe d’intention d’exploitation. Tout ce qui va caractériser la traite se déroule ensuite dans la sphère privée. Les préjudices sont alors très difficiles à mettre en lumière et à prouver.
En général, la justice va assimiler ces situations à des violences conjugales ou de la maltraitance intra familiale. Mais en toile de fond, toutes les caractéristiques de la traite sont réunies : recrutement, isolement, privation de liberté, menaces, violence, relations sexuelles non consenties, séquestration, et selon les cas, servitude domestique, exploitation sexuelle ou économique.
Le cas du mariage forcé
Le mariage forcé est également difficile à prouver. Cependant, au niveau du droit, il y a la possibilité d’annuler le mariage en cas de vulnérabilité d’un des époux. La procédure reste complexe. Et le résultat juridique n’enlève pas le poids culturel de la place de la femme dans sa communauté.
Actuellement, en France, la question de la traite dans le cadre d’un mariage forcé n’est pas reconnue. Pourtant, toutes les composantes sont présentes : déni de la personne humaine, marchandisation d’une personne, privation de liberté. Le seul maillon manquant est la finalité claire d’une exploitation économique.
L’intérêt de la qualification de traite
Une réponse pénale et dissuasive adaptée
Qualifier de traite ces situations d’exploitation déboucherait sur une réponse pénale forte et dissuasive face aux abus au sein du mariage. Les mariages serviles ou forcés doivent être considérés comme des pratiques extrêmement graves et interdites.
La reconstruction de la victime
Psychiquement, ces formes d’exploitation au sein du couple, de la sphère intime, laisse des traces profondes. Il est très difficile de refaire sa vie après ce vécu. Il est donc nécessaire que la justice soit à la hauteur du préjudice subi par la personne, qu’elle soit reconnue en tant que victime d’une exploitation grave et réprouvée. En plus de la réponse juridique, cela permettrait d’envisager une réparation psychique de la personne.
Prévenir au niveau des ambassades
Au moment de la délivrance du visa et de la reconnaissance du mariage, les ambassades dans les pays d’origine de la jeune femme pourraient faire de la prévention. Pour cela, une grille d’indicateur pour évaluer le risque de mariage forcé ou servile leur permettrait de repérer certaines situations : la différence d’âge entre les époux, le nombre de divorce antérieur du mari avec une femme étrangère…
Les ambassades pourraient alors faire de la prévention auprès de la jeune femme : donner un certain nombre d’information sur les droits existant dans leur pays de destination et sur les contacts qu’elles peuvent solliciter en cas de danger au sein du couple.
Accompagner les victimes de mariages serviles ou à fin d’exploitation
Sur la question des mariages forcés, il existe des ressources et des dispositifs spécialisés mis en place par les services publics. En revanche, pour les mariages serviles ou à des fins d’exploitation, le parcours d’aide est plus complexe. Les victimes passent souvent par des structures de violences faites aux femmes avant d’arriver aux associations spécialisées dans la traite.
Dans ce cas, celles-ci leur proposent une assistance juridique pour déposer plainte, et les accompagne pour faire les démarches concernant le divorce. En parallèle, les associations tentent de répondre aux besoins immédiats des victimes : soins, hébergement, soutien psychologique, vêtement, aide alimentaire.
Par la suite, il s’agit de se prémunir au maximum des situations d’exploitation futures en donnant tous les éléments à la personne qui lui permettront de se protéger en cas de difficulté.
La prévention auprès des professionnels.
Une fiche réflexe spécifique aux mariages forcés, serviles et à des fins d’exploitation a été réalisée par l’OICEM. Elle apporte une définition des différents types de mariage connus et donne des éléments sur les précautions à prendre en cas de suspicion.
Elle est accessible sur le site internet de l’association et est transmise à tous ses partenaires : infirmières scolaires, centres sociaux, assistantes sociales…
> Télécharger la fiche réflexe
L’OICEM Organisation Internationale Contre l’Esclavage Moderne
Outre l’accompagnement de personnes victimes de traite exploitées en France et en Europe, l’OICEM développe depuis plusieurs années une assistance aux personnes mineures et majeures qui ont été victimes de traite, d’esclavage, de travail forcé, durant leur parcours migratoire.
L’OICEM offre notamment un soutien psychologique spécialisé et vient en appui aux équipes professionnelles et bénévoles qui sont de plus en plus confrontées à des récits relatant ces faits de traite et d’esclavage.
Article rédigé en collaboration avec Nagham Hriech Wahabi, psychologue clinicienne et directrice de l'OICEM